présentation de Soleils des Indépendances

Publié le par THIERNO LY

I. PRESENTATION DE L'AUTEUR
A Biographie et Bibliographie

Ahmadou Kourouma est né en 1927 à Boundiali, dans le nord de la Côte d'Ivoire, d'un père à la fois commerçant, cultivateur et chasseur et, d'une mère restée très attachée à la tradition Malinké. Il grandit auprès de son oncle Nankoro sous la colonisation française. Il est enrôlé durant trois ans comme tirailleur sénégalais en Indochine. A son retour en 1960 il travaille dans les assurances. En 1963, il est accusé de complot contre le président Houphouët-Boigny et se retrouve au chômage. Offusqué par les arrestations de proches, il défend par l'écriture ses compatriotes opprimés et s'insurge contre le régime d'Houphouët-Boigny. Après la représentation de sa seule et unique pièce de théâtre, Le diseur de vérité (1974), il est contraint à l'exil pendant près de vingt années. Eloigné de son pays et de son peuple, il peine à retrouver le style de ses débuts, parce qu'il " ne pensait plus en malinké mais en français " ; ce qui explique que Monné, outrages et défis, qui évoque les 150 ans de colonisation de son pays ne paraît qu'en 1990. De retour en Côte d'Ivoire en 1994, il publie, En attendant le vote des bêtes sauvages en 1998, qui traite de la période de la guerre froide alors que son dernier roman, Allah n'est pas obligé paru en 2000 raconte la vie d'un enfant soldat. Contraint à l'exil au début de l'année 2003 à cause des déviations du régime de Laurent Gbagbo, Ahmadou Kourouma milite pour le retour de la paix en Côte d'Ivoire. Il meurt le jeudi 11 décembre 2003 à Lyon à l'âge de 76 ans.

B Style de Kourouma
1. Le langage de Kourouma

L'ampleur politique des ouvrages d'Ahmadou Kourouma a été soutenue par un extraordinaire travail sur la langue, " l'aboutissement de toute une recherche sociologique, d'une imprégnation dans la culture et la langue de mon pays " (Ahmadou Kourouma, « Le magazine littéraire n°390 », septembre 2000). En cherchant à " malinkiser " le français pour traduire la façon d'agir et de penser des Africains, il adopte une écriture réellement originale dont l'humour est indiscutablement présent, rendant ainsi " supportables les horreurs " qu'il est amené à relater.
En outre, Kourouma chamboule la structure classique de la langue française par une appropriation personnelle et culturelle : « la malinkisation ».

2. L'idéologie de Kourouma

Elle se fonde essentiellement sur la notion de « bâtardise »que Kourouma utilise comme un dogme philosophique dans son œuvre. C'est une simple ironisation de l'illégitimité, car le bâtard est exclu traditionnellement de la société. Cette notion reflète les contradictions internes d'une société ivoirienne, voire africaine, en crise politique, économique, sociale et culturelle permanente, sous les « soleils des indépendances ». En particulier, Kourouma en donne une acception trilogique : la corruption, l'acculturation, et la désintégration du tissu social. En réalité, chez lui, la corruption relève d'abord de la nature physique, biologique et morale. A cela s'ajoute ce que Harris Mémel Fotê appelle « les contre-valeurs dans l'ordre moral. A voir l'insolence, (...), à voir l'indécence, démoniaque des marabouts (viol de Abdoulaye sur Salimata), à voir l'mmodestie des jeunes (...), à rappeler les tortures dont les Etats affligent les prisonniers politiques d'aujourd'hui, on identifie les normes de la contre-morale nouvelle : profanation de tout ce qui est sacré, désennoblissement de la personne humaine, déshonneur et mensonge, violence et cruauté ».Essai sur les Soleils des indépendances (pp.57-58). En somme l'idéologie de Kourouma s'appuie sur une métaphysique de la bâtardise qui se conçoit, chez lui, de manière iconoclaste, voire révoltante, sceptique et finaliste. Il reste simplement à noter le syncrétisme tacite entre la religion musulmane et les résidus du paganisme qui donne une idée de la conviction religieuse de Kourouma qui ne s'affirme pas de manière claire dans l'oeuvre.

II. L'œuvre
A Le résumé de l'œuvre

Les Soleils des indépendances évoque ces années où l'Afrique décide de prendre en main son destin. La décolonisation est pleine d'espoir, mais les africains déchantent très vite face au cortège de désillusions qui l'accompagne. Les bouleversements politiques survenus en Afrique dans les années soixante ont modifié un système établi depuis des générations, mais le désarroi des populations semble encore grandir, tout comme la misère qui règne partout. La promesse de jours meilleurs disparaît rapidement et le désenchantement est à la mesure des espoirs entretenus. Si l'action du roman est transposée dans un pays imaginaire, la république de la Côte des Ebènes, on reconnaît sans peine la référence à la Côte-d'Ivoire d'Houphouët-Boigny qui instaure une démocratie de façade avec son parti unique, l'organisation d'élections truquées et une justice corrompue sous le contrôle du pouvoir. Pour se protéger de « la damnation qui pousse aux fesses du nègre », pour se prémunir de la misère quotidienne on s'en remet aux divinités. On croit à Allah mais on n'oublie pas les traditions occultes et animistes ou païennes. Si ce syncrétisme étonnant cherche à conjurer les malheurs qui continuent à s'abattre sur l'Afrique, c'est le sort réservé à la femme qui afflige encore davantage. Symbolisant la tragique condition de la femme africaine, Salimata subit, résignée, l'excision, le viol d'un féticheur, la honte de la stérilité, l'indifférence de son mari, puis la difficile cohabitation avec une seconde épouse. La description du combat entre les deux femmes jalouses qui s'arrachant les vêtements pour montrer, ici, « la matrice ratatinée d'une stérile » et, là, « la chose pourrie et incommensurable d'une putaine », illustre bien l'écriture imagée d'Ahmadou Kourouma qui fait une grande place aux proverbes et aux expressions malinké.

B Les personnages

Fama : le héros du récit, malgré ses déboires, reste attaché aux traditions de sa tribu et continue à porter les costumes d'antan. Il est le dernier descendant des Doumbouya, la famille régnante du Horodougou, et est désormais contraint à la misère. Fama est parti vivre dans la capitale, loin du pays de ses ancêtres, avec son épouse Salimata qui ne peut malheureusement lui donner un enfant. Un jour, il apprend une nouvelle étonnante : son cousin Lacina, prince de Horodougou, vient de décéder et il est appelé à lui succéder. Il décide de faire son devoir et prend le chemin de Togobala. Pendant le voyage, on lui parle du temps où les Doumbouya étaient encensés, admirés. Arrivé à destination, il constate que tout a bien changé ; le village est délabré et ses habitants sont devenus fort âgés, mais il est heureux tout de même d'être revenu sur les terres de ses ancêtres. Lacina lui a légué en héritage quatre veuves, dont Mariam, une ravissante jeune femme qui, il l'espère, pourra enfin donner un enfant au prince du Horodougou qu'il est devenu. S'il est devenu maintenant chef traditionnel du Horodougou, le parti unique du gouvernement des Ebènes n'en est pas pour autant ravi. Pour un motif futile, il se retrouve emprisonné. Là commence pour lui une vie de galère qui représente symboliquement le drame quotidien des africains au - delà des ivoiriens, en plus de sa vie conjugale houleuse avec sa femme Salimata.

 Salimata est une femme sans limite dans la bonté du cœur. Elle a les dents régulières, très blanches et une peau d'ébène. Elle provoque le désir. Le fait d'avoir une autre femme sous son toit la rend hystérique. Les années passées n'ont en rien affaibli son charme et sa beauté. Dans sa jeunesse, elle a été violée par le marabout Tiécoura et, maintenant, elle fait ce qu'elle peut pour subsister... Elle comblerait son mari si seulement elle n'était pas stérile. Les prières d'Allah, les fétiches, les sacrifices... rien ne permet de leur donner le droit d'être parents. Ce qui, peut-être, a fait naître en elle un sentiment de jalousie vis à vis de Mariam, une femme que a héritée de son cousin décédé Lacina au nom du principe du Lévirat.

 Mariam, la seconde épouse de Fama, est la cause de l'hystérie de Salimata. Elle est belle, ensorcelante et très charmante : la femme parfaite pour le reste des jours d'un homme. Dans ses yeux vifs, on peut lire la tendresse et le tempérament d'une femme prête à servir. Elle est bien plus belle et séduisante que Salimata, que son mari délaisse. Malgré son caractère bien trempé, elle est toujours souriante.

 Tiécoura, est un marabout féticheur, à l'air effrayant, répugnant et sauvage. Son regard ressemble à celui du buffle noir de savane et ses cheveux tressés sont chargés d'amulettes et hantés par une nuée de mouches qui provoquent la nausée et l'horreur. Inspirant la peur, il a le nez élargi, avec des narines séparées par des rigoles profondes. Il porte des boucles d'oreilles de cuivre et a un cou collé à l'épaule par des carcans de sortilège. Ses lèvres sont ramassées, boudeuses et sa démarche est peu assurée. C'est peut-être ce qui rapproche son portrait de celui de Balla.

 Balla, le vieil affranchi aveugle, est un homme gros et gras. Il porte toujours des vêtements de chasseur et son pas est hésitant. Des essaims de mouches tournent autour de son visage boursouflé, jusque dans le creux des yeux et des oreilles. Ses cheveux tressés et chargés de gris-gris lui donnent un air grotesque qui n'enlève rien à la crainte qui émane de lui. Il se compare lui-même à un vieux chien ou à une hyène solitaire.

III. Le cadre spatio-temporel

Si l'action de son premier roman, Les soleils des indépendances (1968), se déroule dans un pays appelé la République de la Côte des Ebènes, personne n'est dupe, la réalité suggérée est bien celle de la Côte d'Ivoire. Seulement l'univers géographique est étendu ; à ce propos Ch.G. Wondji affirme : « l'univers géographique dans lequel évolue les différents personnages et les différentes actions de ce roman, est caractérisé par sa grande extension donc la multiplicité interne et la variété. ». Mais on peut surtout étudier le cadre spatial à travers la ville, le village, la prison, et le cadre temporel à travers les périodes de la colonisation, des indépendances.

. Le cadre temporel
1. Le temps chronologique

Dans la première partie du roman (9-57), le temps est régulier : le récit commence par le 7ème jour des funérailles de feu Ibrahima Koné ; une journée (de prière et de funérailles) réduite aux 5 moments de la prières : l'aube, l'après midi (deux prières), le crépuscule, le soir. Ensuite le narrateur suspend le temps chronologique (chap.4) à partir de midi de la troisième journée du récit, où le temps semble se figer. Il n'y a presque aucune indication temporelle jusqu'à la 4ème journée où le temps chronologique reprend et correspond à une étape du voyage de Fama vers Togobala et Bindia. A la 5ème journée, au matin, Fama reprend son voyage et passe la nuit de la 6ème journée à Togobala dans le Horodougou. A partir de ce moment le temps devient confus et vague ; le décompte des jours n'est plus possible, il se résume à 23 soleils qui se couchent répartis de manière imprécise dans les quarante jours des funérailles de feu Ibrahima Koné.
Il y a aussi la nuit qui correspond au temps de la souffrance et de la torture dans les différentes prisons fréquentées après son arrestation. En réalité, le héros n'a plus aucune notion du temps en prison : « un matin, on comptait qu'on y (les prisons) avait vécu depuis des années ; le soir, on trouvait qu'on y était arrivé depuis des semaines seulement ».
2. Les paradoxes du temps verbal : parallélisme entre le passé et l'actualité du héros

Dans les Soleils des indépendances le temps connaît des distorsions entre les références à un passé, voire à un passé lointain et plus ou moins lointain, et même immédiat, et le présent actuel du héros, c'est-à-dire la période des indépendances.
Le passé lointain correspond au temps mythique, celui des origines et des traditions africaines dont Fama se réclame.
Le passé plus ou moins lointain renvoie au temps historique, celui de la gloire des Malinkés et de leur fierté, mais aussi celui du négoce florissant pour eux.
Le passé immédiat est celui de la résistance contre le colonisateur pour laquelle Fama s'est sacrifié.
Le présent actuel de Fama, c'est celui de l'expérience douloureuse et de la réalité tragique des indépendances pour lui ; c'est le temps de la « bâtardise ».

3. Le temps des saisons

L'Harmattan connote « la sécheresse, la faim, la peur, l'insécurité » (cf. « Temps et Espace » par Gérard D. LEZOU, Essai sur les soleils des indépendances) ; Cette saison est comparée aux déboires de Fama et explique sa tragédie : « [Fama est] stérile comme le roc, la poussière et l'harmattan »
L'orage et la pluie annoncent la souffrance. En effet, la symbolique du soleil, surchauffé et suffocant, qui succède à la pluie orageuse, est le moment de la tragédie de Salimata (l'épouse de Fama), « volée, violée et maltraitée sur la place publique » (cf. « Temps et Espace » par Gérard D. LEZOU, Essai sur les soleils des indépendances)
NB : Il faut noter que le temps peut être analysé comme un dédoublement des itinéraires parallèles de Fama et de son épouse Salimata. En vérité, tout le temps du récit des Soleils des indépendances se lit suivant une chronologie mortuaire : de la mort de son oncle KONE Ibrahima qui débute le récit, à celle de Fama qui l'achève, en passant par celle de son cousin Lacina qui en constitue une sorte de pause narrative durant laquelle le héros semble se complaire à une intronisation princière éphémère. Mais le temps, pour qu'il soit bien compris, se déploie dans un cadre spatial, référentiel eu non référentiel.

A. Le cadre non référentiel

Il s'agit de tous les espaces, suggérés dans le roman, qui ne font pas référence à la réalité socioculturelle de l'auteur ; on l'appelle aussi le cadre mythique.
Nous avons dans le texte de Kourouma « [...] l'ourébi, loin dans l'inexploré de la brousse, au creux d'une montagne où naissait une source fraîche, [...] », où Balla le vieux chasseur savant rencontra un buffle - génie. Cet espace est aussi symbolique qui donne au roman de Kourouma un caractère merveilleux et fabulatoire qui rappelle le mythe ou le conte (cf. le récit de Balla, pp 129-131).

B. Le cadre spatial référentiel
                                     VOIR SCHEMA CI-DESSOUS

Nb : Salimata fait le chemin inverse de Fama et le retrouve dans le quartier du marché de Treichville ; Gérard Lezou affirme : « l'espace urbain circonscrit par ces deux personnages est un quartier d'Abidjan, Treichville, relié au quartier commercial, le Plateau par le pont Houphouët Boigny »

Publié dans littérature africaine

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