MEMOIRE DE DEA

UNIVERSITE GASTON BERGER DE SAINT-LOUIS

UNITE DE FORMATION ET DE RECHERCHE LETTRES ET SCIENCES HUMAINES

SECTION LETTRES MODERNES

 

ECOLE DOCTORALE :  LITTERATURE AFRICAINE ECRITE ET ORALE

 

SUJET: FICTION, INTERTEXTUALITE ET NARRATOLOGIE

DANS L'OEUVRE DE BOUBACAR BORIS DIOP

 

Mémoire de DEA soutenu par THIERNO LY

Sous le direction Mwamba CABAKULU Professeur titulaire

Année académique 2002/2003

 

 

SOMMAIRE

INTRODUCTION GENERALE………………………..…5

RESUME DES SEMINAIRES………………………….11

RESUME DES EXPOSES……………………….…….16

PLAN DE LA THESE……………………………….…..27

LA PARTIE REDIGEE………………………..………....32

BIBLIOGRAPHIE COMMENTEE……………..……..…50

BIBLIOGRAPHIE GENERALE……………………...…..85

 

 

 INTRODUCTION
Au début de sa timide émergence, la littérature négro-africaine était dominée d’abord par la poésie et, ensuite, par le roman contestataire. Au lendemain des indépendances, commence à naître une autre forme d’écriture : la fiction romanesque. C’est pourquoi, nous avons choisi de réfléchir autour du thème suivant : Fiction, Intertextualité et Narratologie dans l’œuvre de Boubacar Boris Diop.

Boubacar Boris Diop, est un journaliste sénégalais connu pour la particularité de son écriture de fiction. Nous l’avons choisi parce que son écriture se distingue par sa profondeur intertextuelle et narratologique qui est restée attachée au style de certains écrivains français et à l’héritage colonial. Notre projet consiste alors à relever l’ensemble des éléments de fiction, d’intertextualité et de narratologie qui fondent cet argument, dans une sorte d’étude comparée entre la fiction de Boris Diop et les différents textes qu’il convoque dans les siens. Ses différentes œuvres de fiction sur lesquelles nous allons accès notre réflexion sont :

-       Le temps de Tamango, Paris : L’harmattan, 1981

-          Les tambours de la mémoire, Paris : L’harmattan, 1990

-          Les traces de la meute, Paris : L’Harmattan, 1993

-          Le cavalier et son ombre, Paris : Stock, 1998

-          Murambi, le livre des ossements, Paris : Stock, 2000

Le temps de Tamango est une œuvre de fiction politique qui retrace sans complaisance les premières années d’indépendance au Sénégal, y compris et de manière implicite la révolution estudiantine de mai 1968. Cette fiction se distingue aussi par le contexte intertextuel de l’histoire politique dans lequel se déroule le récit. Au-delà de sa profondeur intertextuelle, cette fiction se particularise par sa spécificité narrative, notamment l’utilisation du temps et de l’espace qui, à dessein, sont rendus invraisemblables pour mieux rester dans le cadre de la fiction. Le rapport de cette fiction à l’héritage colonial fonde notre projet de porter notre réflexion sur les notions anthropologiques, c’est-à-dire historique, sociale, politique et culturelle, étroitement liées à des valeurs adoptées d’occident. C’est pourquoi, cette fiction ne peut être étudiée sans penser au Tamango de Prosper Mérimée qui a sans doute servi d’intertexte à Boubacar Boris Diop. L’analyse de Mongo Béti dans la préface de cette fiction explique mieux ce que nous avons suggéré plus haut :

« Jusqu’à quels insondables abîmes la domination française a-t-elle réussi à se frayer la voie au tréfonds de nos âmes ? Jusqu’à quel point nous a-t-elle détraqués en tentant de nous remodeler à sa guise ? Ne nous a-t-elle livrés à une démence durable et irréversible ? N’a-t-elle pas, en définitive, brisé en nous le ressort de toute survie dans la dignité, de toute ambition d’un salut collectif ? Ces interrogations l’auteur excelle à les suggérer ou à les mettre en situation, de même à évoquer les personnages qu’elles habitent, tourmentent ou déchirent, (…) »[1].

Cette réflexion justifie notre projet de porter la réflexion sur l’intertextualité, un des aspects de notre thème.   

Les tambours de la mémoire est une œuvre qui, placée à la lisière de la fiction et de la réalité, brille de par la particularité de sa structure narrative et intertextuelle. Elle retrace, à travers le personnage de fiction, Johanna Simentho, l’histoire réelle d’Aliine Sitoé Diatta, résistante à l’action coloniale. Une histoire que Boubacar Boris Diop retrace dans un espace temporel et physique fictif ; ce qui explique notre choix de porter aussi notre réflexion sur les frontières de la fiction dans l’œuvre de Boubacar Boris Diop, c’est-à-dire sur les questions de référentialité et des indices de fiction. De plus, la manière dont le narrateur enchaîne les différents récits autour d’une histoire centrale, celle de Johanna Simentho sans que  le lecteur sente la moindre rupture dans la structure narrative, ajoute dans la particularité de cette fiction.  La part de l’histoire, surtout celle de la colonisation résonne comme une source intertextuelle majeure qui a, sans doute, motivé cette réflexion suivante de la part de l’auteur :

« (..) L’écho des tambours de la mémoire résonnera porté par le vent de l’histoire. »[2]

C’est que l’histoire comme référent réel  établit un dualisme avec la part de fiction dans la représentation imaginaire de cette réalité dans un univers spatio-temporel où tout relève de l’imaginaire ; ce qui pose la double problématique de la fiction comme relevant à la fois de référents réels et de sources imaginaires.

En choisissant d’inscrire Les traces de la meute dans le passé, par une sorte de remémoration et de ressouvenance du narrateur qui fait parler le passé dans le présent, Boubacar Boris Diop a simplement retenu une structure narrative où le temps et l’espace s’inscrivent dans une perspective de fiction. En réalité, cette oeuvre est une fiction dont la particularité se manifeste par l’apport culturel et coutumier des pratiques ancestrales qui sont présentes dans l’évocation des esprits, par exemple la confrontation épique et victorieuse de l’ancêtre contre le monstre Dum-Tiébi. Au-delà, cette œuvre permet l’étude de la notion de « véridiction » dans la fiction de Boubacar Boris Diop, c’est-à-dire les relations entre vérité et fiction ; des relations à priori ambivalentes, mais qui ont des points de convergence que nous projetons d’étudier dans notre thèse.

En faisant voyager, dans Le cavalier et son ombre, le lecteur dans un passé imaginaire où il parcourt, étrangement avec le narrateur, les méandres de sa propre mémoire, Boubacar Boris Diop a choisi les forces imaginatives et subjectives comme source d’inspiration pour mieux fixer son récit dans un cadre spatio-temporel de fiction. Mais, ce qui est encore fascinant c’est la permanente confrontation entre le visible et l’invisible, le tout par une structure narrative « enchâssée », à cheval entre le réel et le fictionnel. A ce sujet, cette réflexion écrite sur la couverture du roman est patente : « (…) le narrateur campe à la lisière du rêve et du réel »

L’empreinte de la tradition fonctionne dès lors comme une sorte d’intertexte duquel la narration tire toute sa substance.  Autre chose, c’est que cette fiction proche de la réalité retrace les moments graves de l’histoire d’un pays africain et, d’une manière générale, celle de l’Afrique à travers la guerre civile et l’invasion du pays par les troupes étrangères. C’est donc au milieu de ce tumulte que Boris Diop choisit de camper sa fiction qui retrace les graves  déchirures de ses frères africains avec un clin d’œil sur l’héritage colonial. 

Pour l’écriture de Murambi, le livre des ossements, Boubacar Boris Diop a choisi le génocide du Rwanda comme thème. Cela révèle la manifeste volonté de l’auteur d’inscrire son ouvrage dans un passé certes récent, mais qui témoigne de la portée historique de l’œuvre, d’où sa profondeur intertextuelle. Parler du génocide Rwandais nécessite un travail préalable de documentation approfondie, une volonté de rétablir la vérité dans un espace et un temps de fiction loin de la réalité. Ce qui pose la question de la relation entre la vérité et les contre-vérités dans la fiction, y compris dans celle de Boubacar Boris Diop. Cette œuvre permet de mieux appréhender les notions d’intertexte, de fiction et de narratologie dans l’œuvre de Boubacar Boris Diop. Dans une interview consacrée à Sans papier, celui-ci affirme en parlant de ce livre :

« Au début, je n’avais pas l’intention d’écrire un roman. (…) [Mais] pour entrer en profondeur dans le sujet, on se dit alors : qu’il n’ y a que la fiction. »[3]

Par ailleurs, cette œuvre se fondant à la fois sur des sources écrites et orales, est un récit à plusieurs niveaux narratifs qu’il serait enrichissant d’étudier au-delà de la relation entre le(s) narrateur(s) et l’histoire racontée.

Nous envisageons d’aborder notre thème en trois grandes parties : la fiction dans l’œuvre de Boubacar Boris Diop, l’intertextualité dans l’œuvre de Boubacar Boris Diop et la Narratologie dans l’œuvre de Boubacar Boris Diop.

Dans la première partie consacrée à la fiction dans l’œuvre de Boubacar Boris Diop, notre premier objectif sera d’étudier la sémantique de la fiction, c’est-à-dire tout ce qui a trait aux différents sens de la notion de fiction. Il s’agira de définir le concept en rapport avec les nouvelles théories sur la fiction. Notre second objectif sera de réfléchir autour des rapports entre la fiction et la notion de référent réel, les indices de fictionalité et de non - fictionalité, les notions anthropologiques (histoire, culture, coutumes, etc.) et celles de fiction  dans l’œuvre de Boubacar Boris Diop. De même nous tenterons de prouver que la fiction, notamment celle de Boubacar Boris Diop, peut-être envisagé en dehors de tous référents réels ou, du moins, peut-être la transfiguration subjective de la réalité. On pourrait, dès lors, étudier les notions de « feintise de la réalité », comme cela est fréquent dans l’écriture de fiction de Boubacar Boris Diop  En outre, nous comptons aussi étudier les limites ou les frontières de la fiction dans l’œuvre Boubacar Boris Diop, en portant notre réflexion sur les notions de « véridiction » et de « mensonge ».

En somme cette partie sera consacrée à l’étude des nouvelles théories de fiction, notamment celles de Thomas Pavel, Jean Marie Schaeffer, Richard Saint Gelain etc , en les mettant bien entendu en relation avec l’écriture de fiction de Boubacar Boris Diop.

Dans la seconde partie nous allons d’abord tenter d’étudier les différents sens de la notion  d’intertextualité par rapport aux différentes théories qui l’ont étudiée. Pour être clair, il s’agira de parler de l’intertextualité dans toutes ses formes d’expression dans un texte littéraire. Nous pensons aux différentes notions qui, en plus de celle de l’intertextualité, déterminent selon Gérard Genette les rapports « transtextuels »[4]; il s’agit de la paratextualité, la métatextualité, l’hypertextrualité et l’architextualité.

Notre approche sera ensuite, après avoir étudié ces différentes notions d’intertextualité, de montrer dans quelle mesure nous pouvons relever et étudier dans l’œuvre de Boubacar Boris Diop des indices d’intertextualité qui définissent les relations entre ses textes et d’autres textes. De plus, il serait pertinent de réfléchir sur l’utilisation des sources anthropologiques comme mode d’écriture intertextuel par Boubacar Boris Diop. En réalité nous essayerons de prouver que son écriture est particulièrement intertextuelle. Il s’agit surtout d’étudier les différentes notions d’intertextualité et leurs spécificités dans l’œuvre de Boubacar Boris Diop.

La narratologie ou, plus précisément, le discours narratif, fera l’objet de la troisième partie. Notre analyse va porter sur la structure du récit, ainsi que sur les questions liées à la construction du discours dans la narration. Il s’agit surtout d’étudier les différentes étapes des récits de fiction de Boubacar Boris Diop. Sous ce rapport, nous projetons d’analyser les notions de narration homodiégétique, hétérodiégétique, intradiégétique, extradiégétique, c’est-à-dire, le niveau narratif et la relation du narrateur avec l’histoire racontée dans l’œuvre de Boubacar Boris Diop. Parler de narratologie donc, revient certainement à étudier les différents types de narrateurs que l’on peut retrouver dans un récit de fiction, ainsi que toutes les questions liées à la syntaxe de la narration, c’est-à-dire le temps et l ‘espace de la fiction par rapport à ceux de la réalité.

Ce mémoire de DEA, selon les instructions académiques, est constitué de sept documents démontrant l’esprit de synthèse requis dans l’optique d’une thèse de troisième cycle. Le travail se présente de la manière suivante :

  • Ø  L’introduction générale
  • Ø  Le résumé des séminaires 
  • Ø  Le résumé des exposés présentés au cours
  • Ø   Le plan de la thèse
  • Ø  La partie rédigée de la thèse
  • Ø  La bibliographie commentée
  • Ø  La bibliographie générale

  

  Résumé du séminaire principal animé par le professeur  Mwamba Cabakulu portant sur le sujet  suivant : L’intertextualité comme mode de lecture du roman africain

 

L’intertextualité peut être définie comme la mise en relation de plusieurs mots, de plusieurs phrases ou de plusieurs textes d’origine différente. Cette corrélation interactive de deux ou plusieurs textes fait qu’elle est donc le processus qui consiste à intégrer ou transformer un texte dans le but de produire un nouveau texte. Le but de l’intertextualité est d’enrichir un texte récent à partir de ceux préexistants. Mais avant de réfléchir sur les fonctions de l’intertextualité, le professeur Mwamba Cabakulu a relevé quelques notions définitionnelles de celle-ci.

  1. 1.         Quelques notions définitionnelles et modes d’insertion de l’intertextualité

Pour le professeur Mwamba Cabakulu, Julia Kristeva, qui a inventé le concept d’intertextualité, la conçoit comme une interpénétration de textes différents à l’intérieur d’un même univers énonciatif. La définition que propose Marc Eigeldinger se rapporte surtout à la fonction de l’intertextualité ; pour lui, elle est une inférence ou un greffage de textes dans un même espace d’écriture. Gérard genette, lui, parle de transtextualité et en distingue cinq types : l’intertextualité, la paratextualité, la métatextualité, l’hypertextualité et l’architextualité, tandis que Laurent Jenny pense que l’intertextualité est un travail de recomposition métamorphique de plusieurs textes co-présents.

Il apparaît donc que l’intertextualité, loin d’être une simple restitution de la mémoire consiste à réécrire un texte que l’écrivain a décidé de s’approprier. Il s’agit d’inscrire l’ancien texte dans la logique et la cohérence du nouveau. En ajoutant à son texte un intertexe quelconque, c’est - à – dire, le déjà-lu, le déjà-vu ou le déjà-vécu etc., l’auteur peut choisir de le manipuler à sa guise, selon sa propre visée ; il peut, en effet, en dire plus ou moins, ou l’achever pour enrichir son propre texte. L’intertextualité consiste alors à déstructurer le texte cité, pour mieux le restructurer dans le nouveau texte, afin d’éviter de le plaquer à l’état brut.

L’auteur a plusieurs possibilités d’insérer un texte à l’intérieur du sien. Certains critiques qui ont réfléchi sur la question pensent qu’un auteur qui pratique l’intertextualité peut citer, parodier, faire allusion et mettre en abîme un texte tiré d’un contexte différent de celui dans lequel on l’insère. Citer un texte consiste à le transcrire textuellement ou substantiellement dans un nouveau texte, le parodier à imiter son écriture, et le mettre en abîme à projeter l’image du récit principal à partir d’une instance narrative insérée dans le texte de manière prompte ou permanente. il peut aussi faire allusion à un autre texte que le lecteur perçoit comme étant une relation presque naturelle entre celui-ci et le texte qu’il est en train de lire. Ainsi l’intertextualité ne consiste pas seulement à insérer un ou plusieurs textes dans un autre texte, elle permet une relation fonctionnelle entre ces différents textes.

  1. 2.           La fonction de l’intertextualité

Il faut aussi noter que l’intertextualité joue plusieurs rôles dans le processus métamorphique. Selon la démarche du professeur Mwamba Cabakulu, elle permet une transformation sémantique qui consiste à donner une signification nouvelle au texte d’emprunt : c’est la fonction transformatrice. Parce qu’elle implique une écriture comparée et métaphorique, l’intertextualité peut devenir une représentation descriptive et esthétique des différents textes que l’écrivain a décidé de greffer dans le sien. Ce qui amène à penser qu’elle peut être la parodie de plusieurs textes dont on a modifié la visée première. Elle nécessite donc un langage interactif et pluriel. Cette pluralité requiert une organisation cohérente de tous les textes interactifs. Ce qui demande de la part de l’écrivain des compétences qui dépassent le champ littéraire pour embrasser le vaste domaine de la culture. L’Intertextualité peut avoir une fonction référentielle qui consiste à référer un texte à un autre de manière cohérente afin de l’enrichir.

Le professeur Mwamba Cabakulu, pour mieux expliquer ces différentes fonctions de l’intertextualité a retenu, entre autres, les exemples de La vallée des larmes de Omar Sankharé qui rappelle le texte d’Albert camus, L’étranger, et La vie et demie de Sony Labou Tansi où l’on perçoit le style de Gabriel Garcia Marquez.

Ainsi cette réflexion sur l’intertextualité a permis de mieux comprendre la nouvelle orientation de la littérature africaine moderne qui, de plus en plus, s’enrichit d’un champ intertextuel vaste qui l’oriente vers une nouvelle forme d’écriture ; ce qui fait que le roman africain devient une imbrication ou une mise en parallèle de plusieurs textes , comme chez Boubacar Boris Diop dont nous projetons d’étudier l’œuvre romanesque.


Résumé du séminaire complémentaire animé par le professeur Samba Dieng, intitulé : L’islam et l’imaginaire

 

L’injonction faite au prophète Mohamed (PSL) par DIEU, celle qui exhorte à l’apprentissage et à la lecture des versets du coran, révélée par le biais de la sourate IQRA, pose, sans doute, la nature immuable des principes de l’islam qui, à priori, excluent l’imaginaire de son enseignement. Cependant la culture et la civilisation des hommes ne peuvent concevoir aucune forme de pratique religieuse, en dehors de la naturelle ouverture vers l’imaginaire qui les caractérise. Il se pose alors la problématique des rapports entre l’islam et l’imaginaire, rapports que M. Dieng a analysé en trois étapes : la genèse de l’islam et de l’imaginaire, l’islam comme vecteur de l’imaginaire et l’imaginaire islamisé.

  1. 2.       Genèse de l’islam et de l’imaginaire

Il faut noter que l’islam, comme le rappelle le professeur Samba Dieng, naît à partir d’une période où l’imaginaire est fortement développé avec la poésie arabe. Or, la beauté du texte coranique, du point de vue simplement formel, pouvait être considérée comme un acte d’éloquence dont les sonorités et la puissance du verbe la confondaient naturellement à la poésie arabe. L’islam, par son prophète, rejète systématiquement cette approche qui voudrait confiner la parole sacrée et profonde dans le chant profane et superficiel de la poésie arabe. Dès lors, il semble que l’islam exclut de son chant d’application toute immersion de l’imaginaire. Cette exclusion se manifeste, à la fois dans la parole de DIEU (coran) et celle interprétative, mais raisonnable, du prophète Mohamed (les hadiths), et renvoie, surtout à un appel à la raison sans cesse renouvelé dans le coran. Ainsi, tout forme de déformation de la parole sacrée est condamnée. Il s’agit d’éviter une interprétation personnelle du texte coranique, à part la parole prophétique, seule forme d’interprétation acceptable du coran. En réalité, pendant longtemps, l’islam a rejeté toute relation à l’imaginaire et ce, jusqu’à l’avènement du soufisme qui, pour mieux l’implanter, a tenu compte de l’attachement subjectif de l’homme à « l’esthétique ».

  1. 3.       L’islam comme vecteur de l’imaginaire

L’islam a permis à l’imaginaire de se développer dans la pratique religieuse, malgré le rejet systématique de toute forme de mystification de l’homme visant à suppléer Dieu. Les premiers mots de la sourate 17 du coran (« Gloire et Pureté à celui qui nuit, fit voyager Son serviteur [Muhammad], de la mosquée Al-Harâm à la mosquée Al-Aqsâ dont nous avons béni l’alentour, afin de lui faire voir certaines de nos merveilles. C’est lui, vraiment, qui est l’Audient, le Clairvoyant ») marquent vraisemblablement la présence de l’imaginaire dans le texte coranique. En faisant allusion au voyage nocturne du prophète qui fut transporté nuitamment de la mecque aux cieux en passant par Jérusalem, ce verset accorde une place à la sublimation extraordinaire qui fait appel à l’imaginaire de certains écrivains qui, sous ce rapport, ont composé des textes en miniature et éclatants du point de vue esthétique. Ainsi la poésie orale commence à s’inspirer de l’imaginaire suscité par le voyage nocturne du prophète, pour rappeler à la mémoire des hommes le caractère irrationnel de certains versets du texte coranique. D’autres versets du coran, interprétés diversement, rappellent aussi la présence de l’imaginaire dans l’islam. C’est que certaines pratiques judéo-chrétiennes, donc monothéistes, dont l’islam revendique l’achèvement, ont légué à celui-ci leur part d’imaginaire. C’est pourquoi, certains récits miraculeux sont repris et attestés dans le coran, tout en restant dans la perspective de l’unicité de Dieu. L’histoire du berger yéménite Abou Quilaba qui aurait découvert la cité d’Iram sur les traces d’une chamelle égarée, paraît, selon le professeur Samba Dieng, certainement une utopie qui ne peut être acceptée que dans l’imaginaire de la culture arabe médiévale. Il faut néanmoins préciser que l’islam est venu ajouter de la crédibilité à cet imaginaire arabe qui peut sembler utopique et mythique. Malgré les velléités de certains savants islamologues (Ibn Kathis, Ibn Khaldoum), il reste avéré que les arabes conjuguent leur pratique islamique avec leur attachement traditionnel à l’imaginaire et à la légende. Cela ne veut pas dire que tout ce qui est invisible relève de l’imaginaire, car l’islam se fonde sur la pratique de la foi.

  1. 4.       L’imaginaire islamisé

l’imaginaire peut être islamisé, sauf dans le cas de la poésie « débridée », païenne ou polythéiste qui est considérée comme l’écriture des égarés. Mais la poésie croyante comme celle de Antar séduisit le prophète. Autre forme de l’imaginaire islamisé que M. Dieng a noté, la poésie de l’Amour des souffis qui exaltent la beauté de l’essence divine, par l’intermédiaire de son envoyé. L’islamisation de l’Afrique va entraîner celle de l’imaginaire avec les « quacida en pular » qui célèbrent l’islam à travers l’épopée d’ El Hadji Omar.

En définitive, il est important de noter avec le professeur Samba Dieng que la frontière entre l’islam et l’imaginaire n’est pas si étanche que l’on pourrait le croire ; au contraire, ils partagent des liens étroits qui fondent l’émergence d’une certaine forme de pratique de l’islam basée, par exemple, sur le chant confrérique ou l’exaltation dithyrambique du cheikh, comme les poèmes en poular composés à la gloire d’El Hadji Omar par Mouhamadou Aliou Thiam.

     



[1] Mongo Béti. « Œuvres de Boubacar Boris Diop ». Mots pluriels,  N° 9, (http://www.arts.uwa.edu.au/motsplurieks), février 1999

[2] Boubacar Boris Diop. « A l’écoute de Boubacar Boris Diop, écrivain (entretien proposé par Jean Marie Volet) », Mots pluriels, N° 9, 1999. 

 

[3] Boubacar Boris Diop. « A propos de Murambi, le livre des ossements (parution mars 2000), entretien avec Boubacar Boris Diop »,  Sans papier,  novembre 1999

[4] Gérard Genette. Palimpsestes. La littérature au second degré, Paris, Seuil (coll. " Poétique " ), 1982, p.8

 

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